Art Sterritt sur les économies et les écosystèmes durables

14145-brightaward_newsArt Sterritt, directeur exécutif de la Coastal First Nations Great Bear Initiative (Initiative Great Bear des Premières Nations côtières)

 

Interviewé le 7 octobre 2014 par Monica Pohlmann.

Pohlmann : Êtes-vous de l’avis que l’origine des gens façonne leur façon de concevoir l’avenir?

Sterritt : J’ai grandi dans une partie très riche du haut Skeena à une époque où presque toutes les industries forestières appartenaient aux Premières Nations. Mon grand-père et mon oncle avaient une scierie, comme c’était le cas pour bien des autochtones. En fait, les Premières Nations menaient toutes les activités industrielles de la région et le chômage n’existait pas. Il y avait des règles strictes qui dictaient combien nous pouvions prendre de l’environnement naturel. Mon père et ses cousins et la plupart de ses amis avaient des permis qui s’appelaient des « limites », c’est-à-dire qu’on limitait les quantités qu’ils pouvaient exploiter. Quand les grosses entreprises sont arrivées avec des permis d’exploitation forestière que leur octroyait le gouvernement provincial, je me souviens d’avoir été dans une zone de coupe à blanc et j’ai été horrifié par ce que j’ai vu. Des arbres qui mesuraient à peu près un pied de circonférence gisaient au sol, en train de pourrir, abattus tout simplement parce qu’ils bloquaient le chemin aux travaux. Et une fois qu’il n’y avait plus d’arbres à cet endroit, les compagnies fermaient la scierie.

La même chose s’est produite sur la côte de la Colombie-Britannique. Quand je m’y suis installé il y a quarante-sept ans, les Premières Nations dirigeaient toute l’industrie de la pêche. Les Premières Nations exploitaient la pêche à la senne, la pêche au filet maillant, la pêche à la traîne, les empaqueteurs, les industries de crustacés et la pêche au flétan et à la morue charbonnière. Il y a quarante-sept ans, toutes les pêcheries étaient durables. Puis les grosses entreprises ont commencé à rationaliser la pêche et à repousser les Premières Nations. Alors le capital naturel, qui nous avait soutenus pendant des millénaires, a commencé à disparaître.

Il n’y avait pas de chômage avant cela. Notre réseau social était notre filet de sécurité. Nous étions chez nous! Nous avions un taux d’emploi de 100 pour cent. Si quelqu’un avait besoin d’un emploi ou de quoi manger, il pouvait toujours en trouver. Mais depuis une trentaine d’années, les entreprises ont envahi l’économie côtière et ont érodé notre territoire. De nos jours, les gens voient les Premières Nations comme une sorte de race appauvrie. Ne commettez jamais l’erreur de nous regarder de haut! Nous avons bien vécu et avons subvenu à nos besoins depuis le début des temps. Nous savons qu’il est possible pour nous de revenir aux grandes richesses qui étaient les nôtres auparavant.

Pohlmann : Qu’est-ce qui vous anime?

Sterritt : Dans tous les coins de cette province, on trouve des gens appartenant aux Premières Nations qui luttent pour conserver les écosystèmes et pour mettre en place des économies durables à partir de ces écosystèmes. Nous avons créé des partenariats avec tout le monde à l’intérieur de nos régions : entreprises, syndicats, municipalités, industries telles que la pêche sportive et l’exploitation minière. Les non-autochtones locaux nous apprécient, parce qu’ils comprennent qu’il faut protéger l’endroit afin que l’air, l’eau et la terre puissent continuer à nous soutenir tous. Quand je grandissais, il n’existait pas de « eux » et de « nous ». Nos chefs aînés parlaient toujours de partager avec autrui, parfois même à notre détriment. J’entrevois un avenir où nous pourrons tous travailler ensemble de nouveau.

Pohlmann : Si les choses se déroulaient bien au cours des vingt prochaines années, que se serait-il passé?

Sterritt : Le Canada aurait utilisé une petite fraction de nos ressources non renouvelables afin de créer une société plus viable. C’est la responsabilité qui nous incombe. Nous avons passé les dernières quarante à cinquante années à extraire les énergies non renouvelables en ne tenant pas compte du capital naturel ni de la région. Nous avons maintenant atteint un point où nous devons protéger ces ressources plutôt que de faire le contraire. Notre environnement naturel a toujours vu à notre bien-être. Maintenant, c’est à nous de veiller au sien. Ça, c’est le type de Canada que nous voulons bâtir durant le proche avenir.

Pohlmann : Quelles décisions importantes devons-nous prendre en tant que pays?

Sterritt : Nous devons nous débarrasser de cette idée que nous ne sommes que de simples coupeurs de bois et puiseurs d’eau, et que nous ne sommes pas assez intelligents pour créer des industries secondaires et tertiaires. Nous ne pouvons pourtant pas nous permettre de continuer à exporter tous nos atouts. J’ai observé, depuis trop de décennies maintenant, notre exportation systématique vers d’autres pays des ressources brutes et de l’énergie que l’on aurait pu utiliser et raffiner ici. Plutôt que de dépendre des autres, nous devrions être beaucoup plus perspicaces dans notre façon d’utiliser nos ressources naturelles, en vue d’améliorer la vie des gens de notre pays.

Pohlmann : Quelles leçons devons-nous apprendre de nos échecs passés?

Sterritt : Certaines compagnies disent : « Nous n’avons pas assez de monde pour faire ce que nous devons faire, alors il faut aller chercher des gens ailleurs, dans d’autres pays. » Pourquoi devons-nous prendre plus que ce que nous sommes capables de prendre avec les gens que nous avons pour le faire? Si nous avons suffisamment de pêcheurs pour prendre 300 000 poissons par année, nous pouvons le faire indéfiniment. Mais les entreprises disent : « Doublons nos effectifs pour pouvoir en prendre deux fois plus. » Toutefois, ceci ne sera viable que pour encore trente ans. Les personnes qui vivent dans ces régions ne veulent pas nécessairement prendre et prendre démesurément. Les gens cherchent la durabilité et une bonne qualité de vie.

Il y a maintenant environ trois décennies que les grandes entreprises ont pris le contrôle et se sont mises à décimer notre capital naturel. Il est temps que les gens reprennent la maîtrise de ce que nous faisons dans ce pays. Je crois que nous sommes à la veille de démontrer aux Canadiens que ces grosses compagnies ne peuvent plus agir comme cela. Il ne faut pas être très intelligent pour connaître la différence entre le bien et le mal, mais il faut être très courageux pour choisir entre faire ce qui est bien et faire ce qui est mal.

Reos Partners

Thought leader interviews were conducted by Reos Partners, led by project editor Adam Kahane. Kahane is a best selling author and facilitator who has led dialogues in more than 50 countries including post-Apartheid South Africa. Les entrevues auprès de leaders d’opinion ont été réalisées par Reos Partners, sous la direction d’Adam Kahane, rédacteur de projet. Kahane est un auteur et facilitateur à succès qui a mené des dialogues dans plus de 50 pays, notamment en Afrique du Sud après l’apartheid.