Bill Robson sur le capital humain

RobsonBill Robson, président et chef de la direction de l’Institut C. D. Howe

 

Interviewé le 20 octobre 2014 par Adam Kahane.

Kahane : Sur quoi portez-vous votre attention ces jours-ci au Canada?

Robson : Sur la mesure dans laquelle nous sommes capables d’évoluer et d’attirer des individus talentueux. À l’avenir, il y aura toujours peu d’obstacles au mouvement de personnes, de produits, de services et de capitaux dans le monde et les gens pourront de plus en plus s’établir dans des endroits agréables à vivre et où travailler. Quand on parle aux gens qui fondent des entreprises à Toronto, y compris dans les domaines de la haute technologie, et qu’on leur demande pourquoi ils sont venus ici, ils répondent souvent que c’est un des rares endroits au monde où ils peuvent rencontrer des personnes qui font toutes les choses qu’ils apprécient, à partir des fournisseurs jusqu’aux employés éventuels. Ces gens aiment vivre ici, et par conséquent, c’est ici que se produisent les investissements de capital physique, c’est ici que viennent les capitaux financiers et c’est ici qu’est élaborée la technologie dont ils ont besoin. Ceci est encourageant, parce que le Canada possède déjà un avantage en capital humain. Nous avons un niveau relativement bon d’éducation primaire et secondaire et un taux d’inscription très élevé dans les études postsecondaires. L’immigration a été et continue d’être une histoire à succès, accueillant au Canada un grand nombre de personnes compétentes et douées. Nous devons bâtir à même cet avantage et demeurer un endroit attrayant pour les gens qui ont des talents ou qui veulent venir les développer ici.

Kahane : Si vous pouviez poser des questions à un clairvoyant au sujet de l’avenir, que voudriez-vous savoir?

Robson : À quelle qualité de vie nos enfants et petits-enfants peuvent-ils s’attendre? Une chose qui me préoccupe beaucoup, c’est la mesure dans laquelle le présent tend à voler les ressources de l’avenir, que ce soit les gouvernements qui empruntent en vue de soutenir le niveau de consommation actuel ou des promesses fondées sur l’hypothèse de richesse future ou les déchets auxquels on ne pense pas et qu’on a du mal à évaluer. Je m’inquiète de la mesure dans laquelle les Canadiens vont devoir s’acquitter des engagements que nous avons faits en leur nom dans vingt ou trente ans. Pour que le Canada continue à attirer et à retenir les talents, les gens doivent sentir qu’il y a ici de plus en plus de possibilités pour eux et pour leurs enfants. Ai-je raison de désirer que mes enfants demeurent dans ce pays?

Je voudrais aussi savoir jusqu’à quel point nous pourrons maintenir à la fois la liberté et l’ordre. Les personnes, qui ont vécu durant la propagation du totalitarisme dans le monde au cours des années 1930, seraient agréablement surprises par la liberté, le dynamisme et les chances qui existent aujourd’hui dans tant d’endroits. Ce fut un épanouissement remarquable et il est naturel de nous demander si nous allons pouvoir continuer ainsi. Le débat actuel sur le recours à la quarantaine pour lutter contre le virus Ebola constitue un exemple concret des enjeux autour desquels se jouent les tensions. Même à cette époque, où nous nous plaignons du fait d’avoir perdu une grande partie de notre liberté avec l’expansion de l’état réglementaire et du fait d’être presque constamment sous surveillance, nous sommes quand même arrivés jusqu’à maintenant à maintenir un certain équilibre entre l’individualisme et l’ordre public. C’est sans aucun doute un des facteurs qui fait du Canada un si grand succès.

Kahane : Si les choses tournaient mal au cours des vingt prochaines années, que se serait-il passé?

Robson : Les sociétés tendent à stagner lorsque les forces qui résistent au changement deviennent implantées. Je m’intéresse à la bataille qui se livre actuellement entre les industries de taxis et d’hôtels, et en particulier entre les services comme Uber et Airbnb. Il y a de bonnes raisons pour justifier l’existence de réglementations dans ces domaines, mais on doit commencer à s’inquiéter lorsque les défenseurs des intérêts établis font appel à l’état pour défendre leur position. Si les gens qui aiment les monopoles sont capables de convaincre le gouvernement qu’il faut interdire les nouveaux joueurs, cela limite le choix des consommateurs et étouffe l’innovation. Pire encore, l’enracinement du statu quo peut avoir une incidence négative sur l’attitude des gens vis-à-vis du changement. Jusqu’à maintenant, la société canadienne a été comparativement ouverte à l’innovation. Nous sommes plutôt à l’aise avec les gens qui viennent ici et font les choses différemment. Tout cas individuel, où des intérêts établis essaieraient d’arrêter l’introduction de quelque chose de nouveau ou d’empêcher la concurrence d’entrer en jeu, peut à première vue ne pas sembler très grave. Toutefois, il s’agit d’une bataille de plus grande envergure : ce qui est par opposition à ce qui pourrait être. En tant que société, nous souhaitons que ceux, qui ont de l’initiative et tentent de faire quelque chose de novateur et de différent, puissent y gagner plus qu’y perdre.

Kahane : Quelles décisions importantes devons-nous prendre?

Robson : Nous faisons face à de constants défis quand il s’agit de savoir jusqu’à quel point nous sommes prêts à ouvrir nos portes au reste du monde, que ce soit au niveau de l’immigration, du commerce ou de l’investissement. Le Canada se dit internationaliste, et bien des gens se reconnaissent dans cet aspect de notre histoire. Mais quand on songe à un enjeu en particulier, disons au commerce plus libre avec l’Europe ou au Partenariat Trans-Pacifique, il faut prendre une décision : va-t-on encourir un certain risque, s’engager avec le reste du monde, envisager quelques pertes pour récolter des gains? Ou va-t-on se retenir, éviter tout risque et tenter de garder les choses comme elles sont? Ces choix comptent. Ils sont sensés et ils se dirigent dans deux voies tout à fait différentes.

Kahane : Que voudriez-vous avoir comme épitaphe?

Robson : La plupart des gens sont motivés par une vision de la société qui prédit que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Si l’on réussit à résoudre ce prochain problème pour avancer d’un pas, la personne qui suivra pourra voir encore plus loin devant elle. C’est comme débroussailler le terrain. Au début, on se demande souvent comment on peut faire quelque progrès que ce soit. Alors on commence par émonder quelques branches. Quand elles sont hors du chemin, on peut voir un peu plus loin. Je suis un émondeur.

Reos Partners

Thought leader interviews were conducted by Reos Partners, led by project editor Adam Kahane. Kahane is a best selling author and facilitator who has led dialogues in more than 50 countries including post-Apartheid South Africa. Les entrevues auprès de leaders d’opinion ont été réalisées par Reos Partners, sous la direction d’Adam Kahane, rédacteur de projet. Kahane est un auteur et facilitateur à succès qui a mené des dialogues dans plus de 50 pays, notamment en Afrique du Sud après l’apartheid.