
Catherine Swift, présidente du Conseil de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante
Interviewée le 1er août 2014 par Monica Pohlmann.
Pohlmann : Quand vous réfléchissez au Canada d’aujourd’hui, qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit?
Swift : La mesure dans laquelle le monde organisé du travail domine notre agenda. Nous sommes le seul pays qui force encore les employés à payer des cotisations syndicales. Les syndicats ont d’énormes réserves d’argent et peuvent utiliser les revenus de ces cotisations comme bon leur semble. J’ai entendu dire qu’ils ont dépensé des dizaines de millions de dollars exclusivement en publicité pendant la campagne électorale de l’Ontario. C’est beaucoup plus que n’importe quel parti politique a dépensé. Et la semaine dernière à peine, le syndicat des postes a pris part à une marche avec Hamas à Ottawa. Ce type de chose serait inadmissible dans un autre pays.
En fin de compte, il s’agit d’une question financière. Ici, en Ontario, nos fonctionnaires reçoivent des salaires excessivement élevés. Dans le secteur privé, le même emploi serait loin de correspondre au même taux salarial ou aux mêmes avantages sociaux. Les syndicats accordent aux gens plus qu’ils ne devraient recevoir. Quand le gouvernement devient de plus en plus coûteux, vous pouvez fort bien pousser une économie à la faillite. Nous l’avons d’ailleurs vu se produire en Grèce et à Détroit.
Ceci m’inquiète aussi du point de vue sociologique, parce que notre système d’éducation est lourdement dominé par le monde syndical. Les enseignantes et enseignants s’opposent à ce que leur rendement soit évalué, et pourtant tout le monde sur la planète doit se conformer sous une forme ou une autre à un objectif de rendement. Dans un milieu de travail syndiqué, la promotion est fondée sur l’ancienneté et non pas sur le bon rendement. Lorsque les mauvais joueurs ne font pas face aux conséquences et que les meilleurs ne sont pas récompensés, pourquoi vouloir exceller?
Pohlmann : Si vous pouviez poser n’importe quelle question à un clairvoyant sur l’avenir du Canada, quelle question lui poseriez-vous?
Swift : De quoi se composera notre nouvelle classe moyenne? Car ce ne sera sûrement pas la vieille version. En effet, les types d’emplois exigeant des compétences relativement faibles, mais payant des salaires élevés, emplois que nous avons perdus au profit de la technologie et de la mondialisation, ne reviendront jamais.
Notre système éducatif n’est pas bien adapté au besoin que ressentent les étudiants, celui de mettre au point des compétences qui seront nécessaires dans l’économie future. Nous devons apprendre à mieux anticiper d’où proviendront les emplois et les possibilités, et offrir à nos jeunes la formation et l’enseignement dont ils ont besoin.
J’aimerais aussi savoir si nous trouverons une façon de surmonter toute l’opposition qui se dresse contre les projets visant à nous faire profiter au maximum de nos ressources. Avez-vous entendu le terme BANANA? Build Absolutely Nothing, Anywhere Near Anything (ne construisez absolument rien, nulle part ni proche de rien). Chaque groupe d’intérêt particulier semble maintenant capable d’empêcher la réalisation de projets majeurs consacrés au développement économique. Tout autre pays pourrait penser : « Quelle chance vous avez de posséder toutes ces merveilleuses ressources! » Ici, le message qu’on entend, c’est : « Non, vous ne devez pas les exploiter! »
Pohlmann : En tant que pays, de quel sujet devrions-nous traiter dans nos conversations que nous ne traitons pas?
Swift : Nous devrions davantage nous demander où nous allons trouver nos travailleurs et travailleuses. Aujourd’hui, un grand nombre d’entreprises lancent un appel à l’aide et disent : « Nous leur offrirons la formation, nous les paierons bien, nous sommes prêts à tout pour trouver des travailleurs! »
Même si nous devions accélérer l’immigration, nous ne pourrions raisonnablement accepter qu’environ 200 000 à 250 000 personnes par an. Le problème est en partie dû au fait que notre politique sur l’immigration favorise presque exclusivement les personnes hautement qualifiées. Nous faisons venir des gens qui ont un niveau de scolarité relativement élevé, mais en même temps, nous leur rendons souvent très difficile l’accès à des emplois dans leur domaine. Par conséquent, on a des gens qui détiennent des doctorats et qui conduisent des taxis. Il nous faut des personnes hautement éduquées, mais il nous faut également des travailleurs et travailleuses moins compétents.
Le Canada possède l’une des populations issues du baby-boom les plus disproportionnées du monde, et les gens n’ont plus autant d’enfants qu’avant. Quand on a une population vieillissante, cela signifie que les gens vont quitter le monde du travail, acheter moins, et en d’autres mots, ne vont pas stimuler l’économie. Ces tendances veulent dire que nous pourrions nous retrouver avec une population stagnante, ce qui mène toujours à une économie stagnante. Lorsqu’un pays a une population en déclin, ce à quoi le Japon fait face à l’heure actuelle, il lui faut beaucoup de temps pour s’en remettre.
Pohlmann : Qu’est-ce qui retient le plus votre attention dans ce qui se passe de nos jours ?
Swift : Nous sommes dotés de beaucoup plus d’énergie d’entreprise que ne pensent bien des gens. Les États-Unis ont la réputation d’être le pays où l’esprit d’entreprise est poussé à l’extrême. Mais nous avons fait des recherches qui montrent qu’en ce qui a trait à sa tendance de fonder de nouvelles entreprises, et en fonction d’autres indicateurs également, le Canada est tout à fait au pas avec les États-Unis. Là où la comparaison ne joue pas en notre faveur, c’est dans la quantité d’obstacles bureaucratiques qui entravent les entreprises et aussi dans la diabolisation du monde des affaires en général. On ne voit jamais cela aux États-Unis. Mais ici, il y a encore des gens qui croient que les affaires sont maléfiques. Sans profits, nous n’aurions rien, mes amis! Nous n’aurions même pas de gouvernement!
Pohlmann : Qu’espérez-vous laisser comme héritage?
Swift : J’espèrerais laisser les petites entreprises canadiennes en meilleur état qu’elles ne l’auraient été autrement. Selon certaines données, beaucoup de jeunes aujourd’hui sortent des écoles en déclarant : « Je veux avoir ma propre entreprise. » C’est en partie comme cela qu’on influence l’opinion publique : il s’agit de respecter les choix de carrière.