Danny Graham sur l’engagement des citoyens

Danny-GrahamDanny Graham, ancien chef du parti libéral de la Nouvelle-Écosse et président fondateur de Engage Nova Scotia

 

Interviewé le 2 juillet 2014 par Adam Kahane.

Kahane : Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus dans ce qui se passe au Canada?

Graham : Depuis les années 1990, nos leaders politiques sont devenus plus tranchants. Les gens dans la politique n’accordent plus d’importance aux idées des autres ou alors manquent de respect à leur égard. La politique est devenue ce monde insensé où l’on se crie les uns aux autres : « Nous avons raison, vous avez tort, taisez-vous, asseyez-vous et faites attention à ce que j’ai à dire. » Les attaques publicitaires sont des symptômes de cette dynamique. Ce qu’il faut retenir avant tout, c’est que ces messages sont le symptôme d’un public plus polarisé qui veut — et même, exige — des réponses simples à des questions complexes. Il doit se produire un changement fondamental pour que nous puissions créer un nouveau point d’équilibre.

Kahane : À quoi pourrait ressembler ce changement?

Graham : Les facteurs de ce changement comportent une profonde réforme démocratique et en particulier, l’engagement des citoyens. L’essence même de la démocratie réside dans la sagesse commune. Si nous faisons confiance aux individus et les invitons plus souvent à participer aux délibérations et aux décisions entre — et non seulement pendant — les élections, le Canada deviendra de nouveau un pays vivant, prospère, durable et progressiste. Pour y arriver, nous devrons rendre possibles les conversations entre citoyens, surtout à propos d’enjeux importants et complexes.

Kahane : Pouvez-vous songer à un exemple où nous avons pu engager les citoyens comme vous le jugez nécessaire?

Graham : Pendant les années 1990, le public et les leaders politiques estimaient que la Loi sur les jeunes contrevenants avait comme résultat de permettre aux jeunes criminels qui commettaient des délits graves d’échapper à toute punition. La réalité, c’est que le Canada mettait les jeunes en prison plus fréquemment que presque tous les autres pays occidentaux. En réponse au tollé général, Ralph Klein, à l’époque Premier Ministre de l’Alberta, qui préconisait des mesures pénales plus strictes, avait convoqué une assemblée publique de quelque 150 Albertains pour tracer la voie du système de justice pénale en Alberta. Certains s’attendaient à ce que le groupe recommande des pénalités plus dures. Au cours des trois jours de l’assemblée, ces citoyens furent renseignés à fond sur les choix qu’ils pouvaient faire. Ce qui émergea de ces délibérations fut une série de recommandations excellentes et sensées sur le chemin à suivre pour créer un système de justice pénale qui soit dicté par les pratiques exemplaires et la preuve, et non pas par la rhétorique.

Kahane : Est-ce que vous dites que les citoyens moyens savent faire preuve de plus de bon sens que les politiciens?

Graham : Je ne suis pas sûr de vouloir dire cela. Mais d’être dans la vie politique est une expérience très déboussolante, dans ce sens que vous pouvez être facilement désorienté si vous prêtez trop attention aux médias ou aux conseillers en communication.

J’ai tout à fait confiance en « M. et Mme Tout-le-Monde ». La recherche a démontré que si vous leur donnez la chance d’appliquer leur sagesse à quelque chose, ils en viendront habituellement à une décision plus sage et le reste d’entre nous en acceptera généralement le résultat. Pensez à la mesure dans laquelle le grand public accepte les décisions des jurys.

Kahane : Pensez-vous qu’un nouveau groupe de leaders pourrait modifier le discours politique actuel?

Graham : Aucune chance! Zéro! Ça ne peut pas se produire uniquement du haut vers le bas, pour diverses raisons : les gens ont moins confiance en leurs institutions; il y a une absence de dialogue éclairé sur les vrais défis et les enjeux sont vraiment complexes.

Il y a une centaine d’années, nous vivions à une époque où les gens avaient davantage confiance en l’élite à cause du manque d’instruction et de l’échange limité de renseignements. De nos jours, les gens ne vont simplement pas accepter une solution à moins d’avoir eu l’occasion de bien l’étudier. Donc, tout changement fondamental doit venir du haut vers le bas ainsi que du bas vers le haut.

Kahane : Croyez-vous que les Canadiens se soucient assez du Canada pour faire ce que vous voudriez qu’ils fassent?

Graham : Permettez-moi de vous raconter une anecdote au sujet de la passion pour le Canada dont j’ai été témoin. J’ai emmené mon fils cadet, Colin, aux Jeux olympiques d’hiver à Vancouver en 2110, et là nous avons appris beaucoup sur l’amour que ressentent les Canadiens ordinaires pour leur pays, chose à laquelle je ne m’attendais pas. Nous nous trouvions par un heureux hasard dans la rue Robson le dernier jour des Jeux, le Canada ayant remporté plusieurs Médailles d’or. Nous marchions avec des dizaines de milliers de parfaits étrangers et tout le monde se donnait des « high five ». Au milieu des célébrations, je me suis trouvé dans une file de conga indo-canadienne, aux côtés d’un vieil Asiatique vêtu d’un chandail de Crosby, et parmi des sans-abris qui étaient venus à pied de l’autre bout de la ville pour sourire et partager leur ardeur envers notre pays. Il existe un ingrédient magique chez les Canadiens, qui n’est pas manifesté très souvent. Si nous le cultivions et le faisions monter à la surface, il libérerait tout un potentiel ainsi que des chances que nous ne connaissons pas encore complètement.

Kahane : Si nous étions assis en cet endroit dans vingt ans, et si les choses s’étaient vraiment mal passées, qu’est-ce qui aurait eu lieu?

Graham : Nous serions devenus encore plus polarisés. Quand vous tenez compte des exemples extrêmes d’événements dans des endroits comme le Moyen-Orient et certains pays d’Afrique, vous constatez que le plus grand défi ne tourne pas autour des idées, mais plutôt autour des relations humaines et des processus. Personne n’a créé suffisamment d’occasions pour que les idées opposées et les partis politiques convergent de manière constructive.

Je crois que l’endroit idéal pour l’innovation et les possibilités ne se trouve pas dans les marges, mais plutôt au milieu, là où il existe une combinaison de perspectives. Accepter que tout soit possible engendre le magique.

Reos Partners

Thought leader interviews were conducted by Reos Partners, led by project editor Adam Kahane. Kahane is a best selling author and facilitator who has led dialogues in more than 50 countries including post-Apartheid South Africa. Les entrevues auprès de leaders d’opinion ont été réalisées par Reos Partners, sous la direction d’Adam Kahane, rédacteur de projet. Kahane est un auteur et facilitateur à succès qui a mené des dialogues dans plus de 50 pays, notamment en Afrique du Sud après l’apartheid.