May-1Elizabeth May, chef du Parti vert du Canada et députée fédérale de Saanich-Gulf Islands

 

Interviewée le 8 septembre 2014 par Monica Pohlmann.

Pohlmann : Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit?

May : Nous ne sommes une démocratie qu’en théorie. Dans la pratique, nous sommes une dictature élue. Les Canadiens ne se sentent plus valorisés; ils sont devenus des consommateurs passifs. Ils ont abandonné l’idée qu’ils ont des droits et responsabilités dans la gestion du pays. Il est très difficile d’éveiller les gens pour qu’ils se rendent compte qu’ils ont du pouvoir. Quarante pour cent des Canadiens ne votent pas. Aux élections partielles dans Fort McMurray-Athabaska en juin dernier, seulement quinze pour cent ont voté! À moins qu’on ne change le système, le prochain dictateur pourrait fort bien être Trudeau ou Mulcair, et même si nous préférions leurs décisions, ce ne serait toujours pas une démocratie.

De nos jours, les gouvernements démocratiquement élus ont peu de connaissance du pouvoir souverain et sont redevables aux sociétés transnationales en vertu d’instruments divers comme les accords entre les investisseurs et l’État. Il nous faut rappeler aux gens que les démocraties (et les citoyens) peuvent choisir ce qu’ils veulent faire, que ce soit dire non au projet de pipelines Enbridge Northern Gateway ou donner leur opinion sur le traité d’investissement Canada-Chine. Nous avons eu des années de déréglementation, de privatisation et de libéralisation du commerce. Les impôts et tout ce qui est collectif sont diabolisés. Nos enfants ont grandi à une époque où le message était que « le gouvernement est une mauvaise chose ». Quand je parle aux jeunes, ils disent : « Je ne veux pas que ce soit le gouvernement qui fasse ceci ou cela. » Pourtant, dans une démocratie, nous devrions sentir que le gouvernement est en quelque sorte une prolongation de nos doigts, nous permettant de faire collectivement ce que nous ne pouvons pas faire individuellement.

Notre capacité de savoir ce qui se passe a été réduite. Internet a permis la circulation de quantités énormes de faux renseignements déguisés en de véritables renseignements. Les médias sociaux ont amplifié les voix des intolérants, des racistes, des misogynes et des homophobes. Je suis branchée sur Twitter et parfois les messages qu’on m’envoie sont horripilants. Il y a toujours eu des éléments intolérants dans notre société, mais une des choses formidables du Canada, c’est notre respect envers les différents points de vue et le sentiment que nous pouvons arriver à un consensus. Nous avons toujours cru pouvoir être en désaccord tout en n’étant pas désagréables. Aujourd’hui, le Canadien poli est en train de disparaître. On ne laisse plus de place à la conversation. Tout ce qu’on a le droit de faire, c’est de se lancer des slogans des deux côtés de la salle.

Pohlmann : Quelles leçons devons-nous apprendre de nos erreurs passées?

May : Nous sommes comme un petit kiosque qui vend des glaces. Si vous êtes impitoyable, vous pouvez facilement nous renverser. Cependant, notre Constitution est fondée sur le principe que ceux qui détiennent le pouvoir n’en abuseront pas. Il n’existe pas de règles contre l’abus de pouvoir; c’est simplement que ça ne se fait pas. Stephen Harper n’a pas de vrai respect pour la démocratie parlementaire de Westminster. Je ne crois pas qu’il travaille dans l’intérêt du Canada.

Pohlmann : Qu’est-ce qui vous préoccupe à propos du rôle que joue le Canada sur la scène internationale?

May : En ce moment, nous ne comptons pas dans les négociations internationales sur le climat, parce que le reste du monde sait que nous ne ferons pas la bonne chose. Nous ne sommes pas au diapason avec le grand mouvement mondial qui se manifeste à l’heure actuelle. Parmi les voix les plus éloquentes qui appellent à l’action sur la crise climatique, on compte entre autres le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l’Agence internationale de l’Énergie et l’Organisation de coopération et de développement économique. Christine Lagarde du FMI a dit lors des rencontres de Davos l’an dernier que si nous n’agissions pas face à la crise climatique, les générations futures seront rôties, frites et grillées. Shell et BP disent tous les deux qu’il est temps d’imposer une sorte de taxe sur le carbone.

Pohlmann : Qu’est-ce qui vous anime?

May : Les provinces nous offrent une lueur d’espoir par rapport au changement climatique. Leurs premiers ministres disent qu’il leur faut une politique énergétique. En l’absence d’une politique fédérale, disent-ils, tout est aléatoire, ce qui permet aux entreprises de régner. Si nous avions une politique énergétique nationale, la sécurité énergétique compterait pour quelque chose, de sorte que nous n’exporterions qu’une fois les besoins nationaux satisfaits. Toute action concernant le climat compterait. Et ce qui compterait aussi, c’est l’accroissement du nombre d’emplois pour chaque baril de bitume produit. Nous pourrions tout coordonner si nous étions assis à la même table en train de régler nos problèmes, si nous revenions à nos valeurs communautaires et nous occupions les uns des autres. Nous n’arriverons pas à résoudre la crise climatique si nous ne sommes pas une démocratie fonctionnelle.

Reos Partners

Thought leader interviews were conducted by Reos Partners, led by project editor Adam Kahane. Kahane is a best selling author and facilitator who has led dialogues in more than 50 countries including post-Apartheid South Africa. Les entrevues auprès de leaders d’opinion ont été réalisées par Reos Partners, sous la direction d’Adam Kahane, rédacteur de projet. Kahane est un auteur et facilitateur à succès qui a mené des dialogues dans plus de 50 pays, notamment en Afrique du Sud après l’apartheid.