Gordon Nixon sur sur nos forces et nos faiblesses

GordNixonGordon Nixon, ancien président de la Banque Royale du Canada

 

Interviewé le 30 juillet 2014 par Monica Pohlmann.

Pohlmann : Lorsque vous pensez au Canada aujourd’hui, qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit?

Nixon : Sur le plan historique, nous avons été une économie de produits de base secondée par un secteur manufacturier fort, et maintenant nous sommes toujours une économie de produits de base, mais avec un secteur manufacturier faible. C’est très bien d’avoir des produits de base, mais ce secteur n’est pas un employeur important et ne sera certainement pas un moteur pour la croissance. Le Canada doit trouver son chemin dans le monde de l’innovation, des technologies émergentes et des méthodes manufacturières avancées. Nous devons également nous assurer de continuer à faire preuve de discipline au point de vue fiscal. Nous parlons du succès financier du pays, mais le Québec et l’Ontario ont tous les deux d’importants déficits et fardeaux financiers. Dans le passé, nous avons pu observer les répercussions négatives d’un manque de discipline fiscale.

Nous vivons dans une économie mondialisée et en tant que pays, nous devons décider quelle place nous souhaitons occuper dans le monde. Le Canada occupe aujourd’hui une place qui est fort différente de celle qu’il occupait il y a quinze ans. Nous devons décider, à partir d’une perspective culturelle, si nous sommes à l’aise avec l’idée de devenir un défenseur franc et agressif au sujet de nos convictions sur la scène mondiale. Sinon, sommes-nous plus à l’aise dans notre rôle traditionnel de gardien de la paix et de médiateur : amical, ni agressif ni revendicateur et penchant vers le consensus? Il est clair que nous n’en sommes pas là aujourd’hui.

En dernier lieu, le Canada est vulnérable à toutes sortes d’attaques. En raison de notre proximité avec les États-Unis, nous avons toujours tenu pour acquis que nous étions un pays sécuritaire et que nous n’avions aucune raison de craindre la guerre. Mais dans le monde d’aujourd’hui, les guerres sont souvent livrées par des moyens électroniques ou par le terrorisme plutôt qu’au front de bataille et à cet égard nous sommes très, très en retard par rapport à la majorité des autres pays industrialisés. Nous n’avons pas autant de services de renseignements qu’ont la plupart des pays d’Europe ou les États-Unis, et ceci nous rend très vulnérables aux attaques. Un acte majeur de terrorisme pourrait vraiment transformer notre pays.

Pohlmann : Qu’est-ce qui vous anime?

Nixon : Il y a peu de pays au monde qui offrent la même qualité de vie, la même stabilité, la même sécurité et la même cohérence que le Canada. En ce qui a trait à l’égalité du revenu, à la qualité de gouvernance et même au rendement économique, la situation est plutôt positive. Nous avons travaillé très fort pour surmonter notre géographie, notre éléphant au Sud et notre histoire.

La diversité est, sans doute, notre point le plus fort. C’est l’une de nos valeurs fondamentales en tant qu’entreprise et c’est aussi l’une de nos valeurs fondamentales en tant que pays. En 1980, nous n’avions qu’une seule femme parmi nos cadres; aujourd’hui, notre conseil d’administration est présidé par une femme et quarante pour cent de nos cadres sont des femmes. Et nous servons d’exemple en démontrant combien peut vraiment bien fonctionner une mosaïque d’ethnies. Si vous regardez quelle est notre base d’effectifs, vous découvrirez que presque tous les pays du monde y sont représentés. Tout le monde sait que le pays a été bâti par des immigrants, mais on ne reconnaît pas souvent que le pays continue toujours d’être bâti par des immigrants. On ne voudrait pas que la diversité, dont nous avons si bien assuré le succès, transforme sa force incroyable en faiblesse. Si nous devenons complaisants, notre succès multiculturel risque de se transformer en défis ethniques.

Pohlmann : Si les choses tournaient mal au Canada au cours des vingt prochaines années, qu’est-ce qui se serait passé?

Nixon : Nous sommes incapables d’être concurrentiels en matière d’innovation et de technologie manufacturière de pointe, et notre rendement économique devient inférieur à celui du reste du monde. Le sous-rendement rattaché à la croissance économique aurait un effet boule de neige donnant lieu à un taux plus élevé de chômage, à des déficits gouvernementaux et à un pays généralement moins optimiste

Il y a aussi un décalage entre la formation offerte et les emplois de l’avenir. Le secteur universitaire est probablement le moins innovateur de tous les secteurs de notre économie, si l’on considère les cours traditionnels et les professeurs permanents et tout le reste. Les autres secteurs ont tous été forcés de s’adapter à la suite des changements technologiques entre autres, mais ce n’est vraiment pas le cas de notre système éducatif. En ce qui concerne l’acquisition des compétences requises pour les emplois de demain, l’enseignement universitaire est probablement une mauvaise décision à prendre pour plus de la moitié de nos jeunes.

Donc sans changement structurel, il est difficile d’imaginer comment les jeunes d’aujourd’hui vont pouvoir économiser comme ma génération a pu le faire. Les écarts de revenu ont rendu les Canadiens à revenu faible, moyen et même semi-élevé moins capables de maintenir une bonne qualité de vie en comparaison avec à celle des gens se situant en haut de l’échelle salariale. La combinaison de la hausse des prix (surtout dans le domaine de l’habitation) et des choix dans le style de vie des individus aura une incidence sur l’image que projette notre pays. Bien des gens vivent assez convenablement aujourd’hui, mais ils n’économisent pas, leurs fonds de retraite sont limités et ils ne pourront certainement pas conserver leur niveau de vie actuel avec la sécurité sociale.

Reos Partners

Thought leader interviews were conducted by Reos Partners, led by project editor Adam Kahane. Kahane is a best selling author and facilitator who has led dialogues in more than 50 countries including post-Apartheid South Africa. Les entrevues auprès de leaders d’opinion ont été réalisées par Reos Partners, sous la direction d’Adam Kahane, rédacteur de projet. Kahane est un auteur et facilitateur à succès qui a mené des dialogues dans plus de 50 pays, notamment en Afrique du Sud après l’apartheid.