Kevin Lynch sur un changement de cap au niveau international

Kevin Lynch, vice-président de BMO Groupe financier
Interviewé le 2 juillet 2014 par Adam Kahane.
Kahane : Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus sur ce qui se passe à l’heure actuelle au Canada?
Lynch : Les principales forces de changement aujourd’hui ne sont pas canadiennes; elles sont mondiales. Le Canada prospère ou réussit moins bien en fonction de sa compréhension du monde qui l’entoure. Quand il ne le comprend pas, les choses ne vont pas bien.
Il est vraiment important pour notre succès que nous nous assurions de ne pas être trop paroissiaux dans notre attitude. Toutes les politiques sont locales, mais dans le contexte de la mondialisation, il faut définir de façon plus large ce que signifient les besoins locaux.
Kahane : Quel serait un exemple de la façon d’élargir notre perspective?
Lynch : En ce moment, nos relations commerciales sont surtout calquées sur les quarante dernières années et ne visent donc pas l’avenir. Or quatre-vingt-dix pour cent de notre commerce se fait avec les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et seulement dix pour cent avec le monde émergent. Mais si vous regardez où la globalisation amène la croissance économique, c’est dans le monde émergent.
Une partie de notre succès futur dépendra de la diversification des endroits où nous ferons des affaires. Aujourd’hui, disons qu’une entreprise a un bureau à Montréal et un autre à Boston. Pour réussir, cette entreprise aurait peut-être besoin de bureaux à Montréal, à Johannesburg et à Mumbai. De même, depuis la Seconde Guerre mondiale, nos universités majeures ont créé des liens avec celles du Royaume-Uni et des États-Unis. Nous devrons désormais faire la même chose avec le Brésil et la Chine.
Nous avons la possibilité de nous diversifier mieux et plus rapidement que les Américains, les Britanniques et les Français. Si nous pouvions bâtir notre marque, notre présence et nos rapports dans les pays émergents, nous pourrions faire partie d’un marché gigantesque.
Kahane : Quelle sorte d’infrastructure nous faut-il pour appuyer ce type d’effort?
Lynch : Tout comme avant, il nous faut des ports et des routes, mais il nous faut aussi une infrastructure « douce », telle que la compétence linguistique. Aujourd’hui, nos enfants ont tendance à suivre des cours d’allemand, d’italien ou de grec plutôt que des cours de mandarin. Pourtant, ce n’est pas là que se produira la croissance. Pour être assurés de succès personnel, sociétal et économique, nous devons réorienter notre système éducatif.
Kahane : Que faudrait-il pour changer le discours national
Lynch : La plupart des gens opteront pour le statu quo à moins qu’il n’y ait un fort mouvement en faveur du changement ou qu’ils soient convaincus de changer. Qui n’agirait pas ainsi? C’est la nature humaine. Donc, je devrai soit vous faire peur en disant que le monde va s’écrouler si l’on ne fait rien, soit vous inciter et vous engager dans un dialogue réaliste.
Il nous faut également créer un contexte dans lequel les sujets les plus importants du moment dominent le discours public. Lisez cinq journaux et écoutez cinq postes de radio aujourd’hui, et aucun d’eux ne mentionnera ces sujets. Faites-en de même à Singapour et eux les mentionneront.
En Suède, ils le feraient aussi.
Kahane : Y a-t-il des cas où il a été possible de surmonter le statu quo? Qu’est-ce qui a permis à ces efforts de réussir?
Lynch : L’Accord de libre-échange a été un point tournant spectaculaire réalisé par les citoyens et les contribuables canadiens. De même, au milieu des années 1990, nous avons été responsables d’un important changement de cap dans notre politique fiscale. On dit que ce fut abrupt et même agressif, mais franchement, le résultat fut brillant. De plus, il ne s’est pas agi là d’un de nos changements graduels typiques; ce fut un changement profond.
Selon les sondages, l’opinion publique était contre ces deux actions. À l’époque, si vous demandiez aux gens : « Désirez-vous changer de fond en comble tous nos accords commerciaux avec le plus important pays du monde? », la grande majorité répondait « non ».
Ces tournants ont réussi grâce au leadership — pas uniquement de la part du gouvernement, mais aussi de la part du monde des affaires et de différents autres milieux. Surtout pour ce qui est de l’Accord de libre-échange, les Canadiens pouvaient être témoins des débats honnêtes qui se déroulaient entre les gens d’affaires, les universitaires et divers autres. Il a fallu un leadership exceptionnel pour convaincre le Canadien moyen que dans l’ensemble, compte tenu des risques et des avantages, l’Accordétait en fait une chose positive.
Kahane : La conjoncture actuelle est-elle favorable à un changement fondamental au Canada?
Lynch : Il est plus facile de convaincre les gens à poser des gestes importants s’il existe une confiance collective en ceux qui proposent les changements. Les résultats des sondages réalisés dans les pays occidentaux indiquent qu’au cours des vingt dernières années, la confiance a connu un déclin considérable dans tous les secteurs de la société.
Kahane : Avez-vous confiance dans notre capacité d’apporter les changements nécessaires?
Lynch : Nous avons un gros défi à relever au Canada : nous manquons d’ambition. Je ne suis pas certain que ma génération soit suffisamment ambitieuse. Nous pouvons réussir bien mieux dans le monde que ce que nous croyons.
Certains parmi les Canadiens plus jeunes croient qu’ils peuvent vaincre n’importe qui s’ils étudient beaucoup, s’ils travaillent fort, et s’ils sont suffisamment inventifs et astucieux. Nous devons faire preuve d’assez d’ambition pour garder ces jeunes au Canada, pour qu’ils puissent lancer leurs activités et leurs entreprises profitables ici, enseigner ici, se porter candidats à des postes politiques ici. Si nous ne sommes pas assez ambitieux, ils iront ailleurs, parce qu’ils veulent faire une différence.