L. Jacques Ménard sur l’acquittement de nos responsabilités

MenardL. Jacques Ménard, président du Conseil d’administration de BMO Nesbitt Burns et président de BMO Groupe financier, Québec

 

Interviewé le 15 novembre 2014 par Adam Kahane.

Kahane : Que voyez-vous se produire dans le pays, qui mérite notre attention?

Ménard : En tant que Canadiens, nous avons certains droits. Nous avons aussi des obligations ainsi que la responsabilité de contribuer au bien public, surtout si l’on a le privilège d’exercer un certain niveau d’influence. Cela est vrai pour le pays aussi. Nous avons un pays qui est privilégié. Nous gémissons et nous nous plaignons de nos lacunes, mais quand nous regardons les bulletins de nouvelles, nous voyons pourquoi le Canada fait l’envie du monde. Nous sommes privilégiés parce qu’il se fait que nous sommes situés dans cet hémisphère et parce que notre culture nous permet de nous gouverner comme nous le faisons. La crise de 2008 n’a pas eu le même impact ici qu’elle a eu ailleurs. Comment pouvons-nous partager notre expertise, nos expériences et nos valeurs de manière à faire preuve de solidarité vis-à-vis d’autres dans le monde qui n’ont pas reçu les mêmes privilèges?

Nous ne contribuons pas selon notre plein potentiel, ni à l’intérieur de notre pays ni à l’extérieur dans le monde. En tant que sociaux-démocrates, nous avons tendance à trop vouloir nous en remettre aux autres, en partie par souci de respect, mais aussi à cause d’une sorte de passivité qui nous pousse à vouloir attendre qu’on nous guide. La façon pour nous de mieux agir serait d’assumer la responsabilité de ce que sera le Canada à l’avenir. Il faut que nous nous rappelions que la solution ne viendra pas du gouvernement et elle ne viendra pas non plus d’ailleurs : le Canada sera ce que nous en ferons. La compassion, l’équité, la solidarité, l’ingéniosité et l’esprit innovateur sont tous des valeurs canadiennes. Le Canada sera un meilleur endroit si nos dirigeants et nos citoyens acceptent plus la responsabilité de mettre ces valeurs en pratique et de créer de meilleures chances de réussite pour les gens.

Kahane : Si vous pouviez poser des questions à un clairvoyant au sujet de l’avenir, que voudriez-vous savoir?

Ménard : Le Canada est-il devenu un modèle dans le domaine de l’éducation? Le Canada compte parmi les pays du monde dont la population vieillit le plus rapidement. Si nous conservons notre modèle social et économique actuel, la génération de travailleuses et travailleurs qui viendra dans vingt-cinq ans sera obligée de produire beaucoup plus que ma propre génération ou que celle de mon père. Par conséquent, nous devons devenir des chefs de file en éducation et en notre capacité de stimuler l’innovation et la créativité dans les sciences, les soins de santé et les services. Au point de vue économique, nous sommes un petit pays, et nous ne pourrons grandir que si nous devenons beaucoup plus efficaces et récupérons notre rôle comme important exportateur d’idées, de services et de certains produits. Nous ne devons plus dépendre entièrement de nos ressources naturelles. Nous pouvons quand même demeurer un pays fondé sur les ressources; nous pouvons toujours expédier nos produits pétroliers et miniers à l’extérieur, mais nous avons besoin d’une économie plus équilibrée.

Kahane : Si les choses devaient mal tourner au cours des vingt prochaines années, qu’est-ce que l’on pourrait en dire?

Ménard : Nous aurons continué à réduire les ressources consacrées à l’éducation supérieure et à la recherche dans nos universités et institutions. Nous aurons décidé de rendre tout cet argent aux citoyens et abandonné notre responsabilité collective de favoriser un meilleur système d’éducation. Cela aura une incidence sur notre bilan de réalisations dans le domaine de l’innovation et des nouveaux brevets. Le Canada aura érodé ses chances et manqué l’occasion de mettre ses talents à l’avant-scène.

Comment manque-t-on l’occasion de se distinguer par ses talents? On fait deux choses : on ne les exploite pas et on ne les retient pas. Nous sommes des concurrents dans le monde et moins nous développerons des compétences uniques, plus notre pays sera pauvre. On ne peut pas se voir rétrécir tout en aspirant à la grandeur. À un certain moment, nous devons nous acquitter de responsabilités collectives les uns envers les autres et envers les autres générations. Les générations futures jugeront durement celles d’aujourd’hui et diront : « Regardez ce qu’ils ont fait avec leur obsession envers la pensée individualiste. »

Un grand nombre de jeunes Canadiens imaginatifs, énergiques et hautement instruits auraient quitté le pays. De nombreuses jeunes personnes intelligentes ont déjà quitté le Québec. À titre de réponse, ici à Montréal, nous nous sommes rendu compte que nous pouvions faire l’une ou l’autre de deux choses : nous pouvons soit continuer à ressasser nos points faibles soit décider de développer nos points forts. Nous pouvons attendre que d’autres définissent qui nous sommes, quel est notre potentiel et quelle est notre mission comme ville ou alors, nous pouvons agir à partir des avantages que nous possédons déjà comme collectivité et comme citoyens. Il y a de l’énergie, de la créativité et du talent dans cette ville, et l’un des défis consiste à découvrir comment retenir ces atouts, comment en attirer d’autres et comment les mettre en valeur.

Reos Partners

Thought leader interviews were conducted by Reos Partners, led by project editor Adam Kahane. Kahane is a best selling author and facilitator who has led dialogues in more than 50 countries including post-Apartheid South Africa. Les entrevues auprès de leaders d’opinion ont été réalisées par Reos Partners, sous la direction d’Adam Kahane, rédacteur de projet. Kahane est un auteur et facilitateur à succès qui a mené des dialogues dans plus de 50 pays, notamment en Afrique du Sud après l’apartheid.