
Mark Jaccard, professeur en Énergie durable à l’Université Simon Fraser
Simon Fraser, interviewé le 4 septembre 2014 par Monica Pohlmann.
Pohlmann : Qu’est-ce qui vous préoccupe au sujet du Canada ces jours-ci?
Jaccard : Notre gouvernement fédéral actuel et son expansion rapide des industries de combustibles fossiles est quelque chose d’inadmissible. Il y a un manque de volonté à combattre les forces puissantes qui retirent d’amples profits à partir de ces activités. Le fait est que, de par leur nature, ceux que j’appelle les vrais conservateurs ne sont pas enthousiastes à l’idée d’intensifier l’industrie des combustibles fossiles en dépit des incidences sur la planète. Plusieurs politiciens de centre droite, y compris Gordon Campbell en Colombie-Britannique et Arnold Schwarzenegger en Californie, ont mis en place des politiques climatiques efficaces.
Nous vivons dans l’ère anthropocène et savons que nous influençons la planète. La question, c’est comment pouvons-nous le faire de manière beaucoup moins imprudente, surtout de nos jours en ce qui a trait aux émissions de gaz à effet de serre? Si l’on regarde le Québec avec les liens qu’il a établis récemment avec le système de plafonnement et d’échanges de la Californie, si l’on regarde ce qui a été réalisé en Colombie-Britannique il y a à peine cinq ou sept ans avec notre politique d’électricité à zéro émission et la taxe sur le carbone, si l’on regarde plus loin de nous les exemples comme la Californie avec son règlement imposé aux combustibles, aux véhicules et à l’électricité, on voit qu’il y a des choses que l’on peut faire.
Pohlmann : Si tout se déroule bien au cours des vingt prochaines années, que pouvez-vous nous en dire?
Jaccard : L’économie canadienne continuera de croître, mais il ne s’agira pas d’une croissance intensément polluante. Cette croissance sera distribuée plus équitablement, afin que les enfants de familles moins privilégiées puissent avoir accès aux mêmes chances que les enfants de familles aisées. Je suis quelqu’un d’assez optimiste et je vois des êtres humains qui sont aux prises avec toutes sortes de problèmes graves. Quand j’étais étudiant diplômé, j’étudiais les gros problèmes environnementaux que nous avons éventuellement pu résoudre de façon assez efficace, tels que la pollution atmosphérique urbaine, l’amincissement de la couche d’ozone et les pluies acides. Lorsque certains essaient de monter en épingle le changement climatique, et qu’ils s’en préoccupent plus qu’ils ne le devraient à mon avis, je leur mentionne ces premiers succès.
Pohlmann : Quelles sont les décisions importantes que nous devons prendre?
Jaccard : Je me suis confié la tâche d’aider notre société à croître tout en protégeant et en conservant le monde naturel. Nous ne devrions pas diaboliser les combustibles fossiles; les combustibles fossiles sont une forme incroyable d’énergie chimique qui a assuré notre bien-être d’aujourd’hui. Le vrai problème, c’est la pollution par le carbone.
Pohlmann : Quelles leçons importantes du passé pourraient servir au Canada?
Jaccard : En tant que citoyen mondial, le Canada peut avoir plus de poids que nous n’osons le croire. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, nous avons déclaré la guerre à l’Allemagne nazie avant que l’Union soviétique ou les Américains ne l’aient fait. Nous avons fait preuve de vrai leadership.
Évidemment, le leadership ne signifie pas d’aller se joindre à quelque expédition militaire; c’est une question de donner l’exemple.
De même, le Canada pourrait jouer un rôle de chef de file à l’égard de problèmes tels que le captage du carbone. Entre 2005 et 2008, il y a eu une réelle poussée pour que le Canada devienne un leader mondial dans le captage et le stockage du carbone. Je suis profondément déçu que nous n’ayons pas joué ce rôle au moment où se manifestait un intérêt authentique à le faire, même dans le milieu des entreprises. Lorsque Stephen Harper est arrivé au pouvoir, tout cela a disparu.
Le Canada pourrait revenir à l’avant-garde. Nous pourrions dire : « Voici ce que nous faisons. Voici nos politiques. Qui peut faire de même? » Et puis, nous pourrions vendre nos technologies et notre savoir-faire de façon à aider véritablement les pays en développement, comme la Chine, à réduire rapidement leurs émissions sans pour autant encourir l’énorme dépense de fermer toutes leurs centrales au charbon.