Ratna Omidvar sur la croissance par la diversité

OmidvarRatna Omidvar, directrice générale du Global Diversity Exchange (GDX) à la Ted Rogers School of Management

 

Interviewée le 16 octobre 2014 par Elizabeth Pinnington.

Pinnington : Qu’est-ce qui vous anime?

Omidvar : Le Canada possède l’ossature voulue pour démontrer comment devrait fonctionner la société de demain. Nous sommes aujourd’hui ce que plusieurs autres sociétés deviendront probablement; nous sommes l’endroit où vivent de nombreuses nationalités, races et religions. La diversité fait partie de notre ADN, particulièrement dans les centres urbains. Nous fonctionnons généralement bien… il n’y a pas d’émeutes dans nos rues, les gens sont polis entre eux, on monte à bord du métro bondé de monde le soir et personne ne lance des insultes racistes à quiconque.

Les institutions locales ont grandement contribué à cet état de choses. À Toronto, par exemple, les écoles ont fait part d’un progressisme remarquable en intégrant le visage multiculturel du Canada dans leurs programmes d’études. Ce n’est plus « Jeanne et Pierrot vont au magasin pour acheter du sucre », mais plutôt « Fatima et Ali vont au magasin pour acheter du riz ». Ces choses font une différence.

Par ailleurs, les entreprises ont choisi divers moyens de s’adapter à la nouvelle réalité de notre diversité. Un exemple intéressant du secteur des services financiers, c’est le changement apporté aux règles qui déterminent qui peut être admissible à une hypothèque. Autrefois, les banques n’avaient qu’à calculer les revenus de deux individus : le couple. Certains employés immigrants dans une institution bancaire ont fait remarquer que cette pratique lassait passer une occasion de faire de meilleures affaires. Ils ont dit : « Attendez un peu, les familles immigrantes ne vivent pas systématiquement comme mari et femme; elles vivent comme mari, femme, frère, sœur, tante, oncle. » Toute la famille travaille ensemble pour pouvoir acheter un domicile, ce qui en plus de la citoyenneté constitue un important indicateur d’appartenance. En conséquence, les institutions de services financiers au Canada ont modifié leurs critères, afin de permettre aux familles d’être décrites différemment et de jumeler leurs revenus pour devenir admissibles aux prêts hypothécaires. Les entreprises vont là où se trouve le marché, et notre secteur de services financiers s’est rendu compte que si l’on veut servir sa clientèle, il faut connaître sa clientèle. Nous faisons des progrès. C’est simplement que cela prend beaucoup de temps.

Pinnington : Si les choses tournent bien au cours des vingt prochaines années, que pourrait-on en dire?

Omidvar : En me tournant vers l’avenir, je vois un Canada différent, bâti à même la dynamique d’aujourd’hui. Notre population a doublé. Donc, nous avons maintenant dix et non plus quatre grands centres urbains. Dans ces centres urbains vivent des personnes d’une diversité inégalée. Cela renforce notre économie et notre prospérité. Puisque nous sommes une économie plus grande, nous sommes capables de produire davantage, d’échanger davantage; nous pouvons vendre à plus de gens, nous avons plus de gens avec de grandes idées. Notre croissance démographique s’est stabilisée avec l’immigration et notre économie peut accommoder un plus grand nombre d’immigrants ayant tous les niveaux d’aptitudes, et elle peut aussi accueillir beaucoup plus de réfugiés.

Deuxièmement, nous sommes une véritable puissance économique en raison du fait que nous avons des échanges commerciaux avec beaucoup plus de pays et ne dépendons plus autant des États-Unis. Nous avons su nous libérer de ce recours excessif à un seul marché en diversifiant vigoureusement nos rapports tant politiques qu’entrepreneuriaux. Par le biais de l’immigration et des réseaux diasporiques, nos liens naturels avec le monde extérieur se sont multipliés. Les Canadiens sont habiles quant à l’interprétation des règles et règlements écrits et tacites des différents marchés et ils se déplacent facilement d’une culture à l’autre. L’avenir du Canada est axé sur l’attention qu’il donnera à cette force latente que sont les immigrants d’aujourd’hui et d’hier, sur sa capacité de donner libre cours à cette force et de renforcer les liens qui existent entre les endroits, les marchés, les fournisseurs et les idées.

Pinnington : Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit?

Omidvar : Nous constituons une société soumise aux règles. Nous n’aimons pas prendre trop de risques. La paix, l’ordre, la bonne gouvernance : c’est ce que nous sommes. Ne pas prendre de risques veut dire nous entourer des mêmes idées ressassées et des mêmes personnes qui reflètent ces idées. La recherche montre que si nous voulons développer ce genre de pensée rigide, nous devons avoir une équipe homogène. Par contre, si nous souhaitons produire quelque chose de nouveau, de différent, d’un peu fou, alors nous devons nous assurer d’avoir une équipe de gens complètement différents de nous. Cela peut créer des conflits temporaires et du chaos, mais cela va aussi engendrer de la créativité et nous avons besoin de cette créativité.

À Toronto, tandis que notre population de minorités est d’environ quarante-neuf pour cent, elle n’occupe que treize pour cent des postes de leadership. Les personnes qui sont assises dans les salles du conseil et qui détiennent le pouvoir institutionnel ressemblent au vieux Canada; elles ne ressemblent pas au nouveau Canada. Pourquoi ne sommes-nous pas Silicon Valley, mis à part le soleil? Parce qu’à Silicon Valley, le coût du billet d’entrée n’est pas lié au lieu où l’on est né, mais aux idées qu’on apporte. Nous n’en sommes pas encore arrivés là.

Nous avons également vu apparaître des tendances inquiétantes. Nous avons perdu notre engagement à la permanence. Nous disions autrefois : « Venez au Canada et trois ou quatre ans plus tard, vous deviendrez citoyen canadien. » Nous rendons la citoyenneté plus difficile à obtenir et plus facile à perdre. Nous importons des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires qui n’ont aucun droit à la permanence et créons ainsi une société à deux niveaux. Nous avons appris des États-Unis et de l’Europe que bien des travailleurs temporaires ne partent pas; ils laissent passer les dates d’échéance de leurs visas et entrent dans la clandestinité. Imaginez venir à titre de travailleur étranger temporaire en provenance du Mexique, de la Chine ou des Philippines. Vous êtes lié à un employeur. Vous n’êtes pas libre de quitter. Si cet employeur vous maltraite, allez-vous vous plaindre? Nous sommes en train de perdre de vue les valeurs autour desquelles nous avons bâti cette grande nation. La compassion est une de ces valeurs. Nous nous sommes carrément éloignés de la compassion avec notre piètre effort pour aider les réfugiés de la Syrie et de l’Irak à venir s’établir ici.

Pinnington : Que désirez-vous laisser comme héritage?

Omidvar : Par le biais du Global Diversity Exchange à Ryerson, nous créons des mouvements favorisant le changement, qui ont des racines locales et qui sont fondés sur des idées consacrées à la diversité, l’immigration et l’inclusion. Les communautés locales ont l’immense potentiel de se rejoindre au-delà des frontières, de tisser des liens avec les autres communautés, d’apprendre et de s’inspirer les unes des autres. Ceci est beaucoup trop difficile à faire pour les états nations.

Reos Partners

Thought leader interviews were conducted by Reos Partners, led by project editor Adam Kahane. Kahane is a best selling author and facilitator who has led dialogues in more than 50 countries including post-Apartheid South Africa. Les entrevues auprès de leaders d’opinion ont été réalisées par Reos Partners, sous la direction d’Adam Kahane, rédacteur de projet. Kahane est un auteur et facilitateur à succès qui a mené des dialogues dans plus de 50 pays, notamment en Afrique du Sud après l’apartheid.