Scott Baker, Jonathan Glencross, Humera Jabir, Chris Penrose, et Amara Possian sur la communauté

Scott Baker, chercheur-boursier au Studio Y de MaRS Discovery District et cofondateur de Adjacent Possibilities; Jonathan Glencross, consultant à Purpose Capital; Humera Jabir, étudiante en droit à l’Université McGill; Chris Penrose, directeur exécutif de Success Beyond Limits; et Amara Possian, directrice de campagne à leadnow.ca.
Un groupe de cinq jeunes activistes interviewés le 1er septembre 2014 par Adam Kahane.
Kahane : Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit?
Glencross : Je suis particulièrement préoccupé par le fait que les gens semblent incapables d’imaginer un avenir entièrement différent, non seulement en tant qu’individus, mais aussi en tant que pays. Parmi mes amis les plus branchés et les plus engagés, il y en a qui passent beaucoup de temps à défendre leurs activités courantes en opposition à ce qu’on leur disait quand ils étaient plus jeunes : allez à l’école, décrochez un bon emploi, travaillez fort, fondez une famille, établissez-vous dans un bel endroit et sachez raconter simplement ce que vous faites. Cette préoccupation les empêche de rêver à de nouvelles manières de fonctionner.
Possian : Je pense beaucoup à nos candidats politiques qui ne peuvent pas offrir des visions convaincantes de l’avenir. Les endroits que je trouve les plus inspirants et énergisants sont ceux où il y a des jeunes qui discutent entre eux de ce à quoi pourrait ressembler l’avenir. Mais nous ne sommes pas les détenteurs du pouvoir. Le système politique — où se trouve le pouvoir décisionnel officiel — est comme une barrière. C’est quelque chose qui favorise le désengagement. Et de plus, nos mouvements sociaux sont fragmentés. Nous sommes d’accord sur quatre-vingt-dix-neuf pour cent des choses, nous reconnaissons qu’il nous faut affronter des forces systémiques, mais parfois, il semble que nous n’allons jamais pouvoir travailler ensemble. Nous avons peut-être les mêmes objectifs, mais nous n’avons pas nécessairement la capacité d’agir collectivement.
Jabir : Je viens d’un milieu d’immigrants et ma ville, Toronto, est maintenant une ville majoritairement composée d’immigrants. Ceci a formé ma compréhension des personnes qui se considèrent en marge où qui ne font pas partie du discours politique conventionnel. Je m’inquiète beaucoup de l’inégalité et de ceux qui sont laissés pour compte dans nos décisions d’avenir. Lorsque les services sociaux sont réduits ou supprimés, lorsque le chômage chez les jeunes est négligé, lorsque la dette est mise sur le dos des jeunes… toutes ces actions limitent la prospérité future des gens ainsi que leur capacité d’avoir une voix et de participer de façon égale à la société.
Kahane : Si les choses tournent mal dans vingt ans, que se sera-t-il passé?
Penrose : Nous n’avons pas changé de direction. Nous avons continué de dépendre de choses qui compromettent notre environnement. Les mêmes types de personnes prennent les décisions et occupent des postes publics. Nous avons pris du retard dans l’établissement de l’infrastructure dont nous avons besoin. Nous avons continué à fonctionner avec une mentalité de pénurie, ce qui a fini par faire du mal aux gens les plus touchés par les inégalités sociales.
Possian : À un moment donné, nous avons perdu confiance en notre vision. Nous nous trouvons maintenant dans une situation où un petit segment de la société a réussi à rendre importantes aux yeux de la plupart des gens certaines questions peu pertinentes. Si cette tendance se poursuivait, nous serions nombreux à nous sentir tellement impuissants que nous nous retirerions complètement.
Jabir : Nos dirigeants n’ont pas reconnu la valeur d’avoir tout le monde qui bouge ensemble, y compris les moins riches et les moins puissants. C’est une manière très risquée de procéder. Si nous restons sur la trajectoire du démantèlement d’un grand nombre de nos structures sociales et nos mesures d’appui au bien-être, et si nous continuons à apporter des modifications radicales à nos lois, nous pourrions créer le type d’inégalité enracinée que nous voyons aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Kahane : Si les choses tournent bien, que pourrait-on en dire et comment les choses se seraient-elles déroulées?
Glencross : Pour que le Canada soit sur une trajectoire positive à l’avenir, nos systèmes doivent devenir plus poreux et doivent accueillir plus volontiers les idées émergentes et les perturbations. En ce moment, il semble que les structures en place ne savent pas métaboliser les bonnes idées et les nouvelles perspectives, même si nous les avons trouvées nous-mêmes.
Jabir : Nous nous engagerions à travailler ensemble pour mener à bien un projet d’envergure nationale. La Finlande a réussi à se concentrer sur un des meilleurs systèmes d’éducation au monde. Il est impossible de tout résoudre, mais si nous pouvions rechercher l’excellence dans un seul domaine, cela nous donnerait un peu de motivation.
Kahane : Ce que je remarque dans cette conversation jusqu’à maintenant, c’est combien vos commentaires initiaux ont été plus désespérés que ceux de bien d’autres personnes que nous avons interviewées. Je me demande si vos positions de jeunes leaders vous font voir des choses que d’autres plus âgés que vous n’ont pas captées.
Jabir : Nous sommes peut-être plus conscients des barrières qu’une génération plus âgée qui aurait déjà trouvé son chemin. Il existe un grand sentiment d’anxiété parmi les membres de ma génération. Vous pouvez le constater par le nombre de jeunes qui ont recours aux conseils des praticiens de santé mentale dans les universités ou qui sont stressés à l’idée de trouver un emploi. Bien des gens appartenant au groupe d’âge de vingt à trente ans ignorent quel sera leur prochain geste, ou comment ils devront s’y prendre pour arriver là où ils veulent aller.
Baker : C’est facile pour moi de décrire le pire des scénarios et c’est difficile pour moi de décrire le meilleur des scénarios et comment on y arrive. C’est probablement très caractéristique du millénaire. À partir du moment où nous avons commencé à ressentir une certaine curiosité vis-à-vis du monde, nous avons appris que les choses sont allées de mal en pis à bien des égards. Nous avons également fini par comprendre que le monde bouge de façon incroyablement rapide et imprévisible, et par conséquent, en affrontant des défis terrifiants, nous sommes confiants que demain les choses pourraient être très différentes qu’elles ne le sont aujourd’hui. C’est ce qui continue de me motiver malgré tout mon pessimisme.
Possian : Nous sommes la première génération à savoir que les choses vont probablement s’empirer. Bien sûr, on peut voir à ce qu’elles soient un peu moins mauvaises, mais même si l’on arrête dès demain d’extraire les combustibles fossiles du sol, il y aura déjà eu des changements climatiques irréversibles qui se répercuteront sur notre façon de vivre. Nous cherchons maintenant à trouver des solutions. Si nous pouvions mettre en œuvre des solutions qui permettent de changer la manière dont les choses se sont faites et de défier la dynamique du pouvoir, alors nous pourrions en sortir encore plus forts.
Kahane : Qu’est-ce qui vous anime?
Jabir : Nous avons beau parler des changements liés aux politiques et de tout ce qu’il importe de faire aux plus hauts niveaux, mais en fin de compte, il faut commencer par les familles et les communautés. Si ces éléments ne sont pas solides, alors la création de mouvements et l’activisme ne sont pas possibles. Un des problèmes les plus difficiles à surmonter, c’est l’immense solitude que bien des gens ressentent. En devenant de plus en plus isolés, nous perdons les bases nécessaires pour faire quoi que ce soit de ce que nous voulons faire. Je veux rapprocher les gens, parce que sans cela, tout le reste n’est vraiment pas possible.