Steven Guilbeault sur l’innovation verte

Guilbeault-1Steven Guilbeault, cofondateur d’Équiterre

 

Interviewé le 12 juin 2014 par Elizabeth Pinnington.

Pinnington : Qu’est-ce qui vous anime dans ce qui se passe à l’heure actuelle au Canada?

Guilbeault : Nos municipalités sont des porteuses d’espoir. À Montréal, nous avons battu un record de cinquante ans en utilisation du transport en commun, parce que nous avons investi dans l’infrastructure des transports. La ceinture verte en périphérie de Toronto est perçue par bien des gens comme un modèle en Amérique du Nord. Vancouver est probablement l’un des dix meilleurs exemples dans le monde de ce qui doit être fait au niveau municipal par rapport à la durabilité. Dans chacun de ces endroits, ce n’est pas juste une histoire d’argent, mais c’est aussi un changement de mentalité. Nous considérons ce défi comme une occasion de mieux faire ce que nous faisons, d’être plus résistants, plus efficaces.

Récemment, nous avons organisé un événement rassembleur pour souligner le succès du Québec dans l’atteinte de sa cible en 2012 de réduire les émissions de gaz à effet de serre, le plus ambitieux plan de l’Amérique du Nord. Durant cet événement, Monsieur Charest a déclaré que lorsqu’on jette un coup d’œil au reste du monde, les pays qui sont capables de résoudre des problèmes et de relever des défis peuvent le faire parce que ces problèmes et défis transcendent l’affiliation politique et idéologique.

Partout dans notre pays et dans le monde, quand il y a des activités de durabilité qui ont lieu, c’est parce que ces questions vont au-delà de nos affiliations politiques et de notre mentalité politique. Bien sûr, il y a inévitablement des différences entre les partis politiques, mais tant et aussi longtemps qu’il est possible pour nous de reconnaître que nous partageons le même but et qu’il nous faut atteindre le même objectif, alors la discussion peut porter sur comment nous y arriverons. Nous avons vu cela se produire dans bien des régions du Canada, et ceci m’anime profondément.

Pinnington : Qu’y a-t-il dans la situation actuelle au Canada qui vous empêche de dormir la nuit?

Guilbeault : Si vous regardez la scène fédérale, elle n’est pas jolie. Le Canada était autrefois un chef de file en ce qui a trait aux questions environnementales et humanitaires. Nous n’étions pas toujours les meilleurs, mais nous faisions partie du groupe de pays en tête. Le Protocole de Montréal a été signé en 1988 pour ralentir l’amincissement de la couche d’ozone. Le Canada a amorcé l’effort pour interdire les mines antipersonnelles, menant à la Convention d’Ottawa en 1997. Autrefois, notre pays avait une bonne réputation. Maintenant, quand je vais à des réunions de l’ONU à l’étranger, les ministres de haut rang de divers pays s’approchent et me demandent : « Qu’arrive-t-il au Canada? On ne vous reconnaît plus. »

Pinnington : Si les choses devaient mal tourner au cours des vingt prochaines années, que se serait-il passé?

Guilbeault : En ce moment, le Canada dans son ensemble focalise sur la création d’une économie du dix-neuvième siècle, basée sur ses ressources naturelles. L’économie du vingt-et-unième siècle se concentrera sur la connaissance, le savoir-faire, l’innovation et la créativité. Si nous restons collés à une économie de pétrole et de gaz naturel, nous serons forcés d’importer des technologies mises au point par d’autres que nous. Nous ne nous préparons pas pour le monde de demain.

De plus, bien des gens parlent de durabilité, mais ils n’agissent pas en conséquence. Nous avons un rôle à jouer, à la fois comme citoyens et comme consommateurs. J’ai un ami qui dit : « Acheter, c’est voter. » Nous devons devenir plus conscients des choix que nous faisons chaque jour en tant qu’individus, y compris dans l’arène politique. Ces enjeux doivent faire davantage partie des choix posés par les gens.

Si nous échouons dans notre tentative d’apporter les changements nécessaires, ce ne sera pas parce que les solutions n’existaient pas ou parce qu’elles n’étaient pas économiquement viables. Ce sera parce que nous ne pensions pas en être capables et n’avons pas mobilisé assez de gens de tous les secteurs de notre société pour que ceci devienne une réalité.

Pinnington : Si les choses se passent bien pendant les vingt prochaines années, qu’est-ce qui se sera produit?

Guilbeault : Les gens se seront rendu compte que nous ne pouvons pas avoir une société prospère au détriment de la planète. Heureusement, de plus en plus de dirigeants d’entreprises se font entendre sur certains de ces enjeux. Ils doivent faire partie de la solution, parce qu’ils peuvent réaliser des choses que je ne peux pas réaliser moi-même à titre de défenseur de l’environnement et que les gouvernements ne peuvent pas réaliser non plus. Si je me trouve aux côtés d’une personne appartenant au monde des affaires, j’aurai alors ajouté d’un seul coup au poids de notre message et augmenté la taille du public qui sera réceptif à ce message.

Pinnington : Pourquoi certains dirigeants d’entreprises ont-ils commencé à plaider pour la durabilité de l’environnement?

Guilbeault : Au-delà de l’obligation morale de penser et d’agir de façon à défendre la durabilité, il y a des avantages matériels pour eux. Je parlais avec Robert Dutton, ancien PDG de la quincaillerie RONA. Sous sa tutelle, l’entreprise a pris un spectaculaire tournant en faveur de la durabilité. Il a dit : « Aujourd’hui, j’accorde des entrevues à des gens dans le but de les faire venir travailler pour moi, mais les valeurs des gens ont beaucoup changé. C’est toujours une question de chèque de paye, mais aussi du type de compagnie que l’on est. Êtes-vous un citoyen d’entreprise responsable? Bientôt, ce sera moi qui serai interviewé par les gens que je voudrais avoir comme employés. La dynamique sera complètement inversée. À moins que ma compagnie se comporte de manière responsable, j’aurai du mal à attirer du monde nouveau. » Il m’a également dit que lorsque RONA réduit le volume de ses déchets d’environ quatre-vingts pour cent dans ses grandes quincailleries, l’entreprise économise environ 80 000 $ par année en collecte de déchets. Si ce n’est pas là un bon exemple de comment mener une affaire, je ne sais pas quoi invoquer d’autre.

Reos Partners

Thought leader interviews were conducted by Reos Partners, led by project editor Adam Kahane. Kahane is a best selling author and facilitator who has led dialogues in more than 50 countries including post-Apartheid South Africa. Les entrevues auprès de leaders d’opinion ont été réalisées par Reos Partners, sous la direction d’Adam Kahane, rédacteur de projet. Kahane est un auteur et facilitateur à succès qui a mené des dialogues dans plus de 50 pays, notamment en Afrique du Sud après l’apartheid.