
Joseph Wilson, conseiller en éducation au MaRS Discovery District
Interviewé le 2 août 2014 par Monica Pohlmann.
Pohlmann : Quels sont les cas où nous avons su réaliser notre potentiel à titre de nation?
Wilson : Nous sommes reconnus dans le monde entier pour notre système d’éducation. L’enseignement public est une institution respectée; nous payons nos enseignants et enseignantes relativement bien; nous avons un bon système d’examens de contrôle standardisés; et ici, l’écart en matière d’égalité n’est pas énorme. Les Canadiens accordent autant de valeur à leur système d’éducation qu’à leur système de soins de santé. Ceci engendre des pressions pour innover, autant dans le secteur privé que public. Toronto abrite ce qui est probablement le plus important regroupement d’activités innovatrices du monde en éducation. Nous avons des universités de haute qualité ainsi que des gens talentueux qui obtiennent un diplôme de ces universités. Quand on les livre à une situation problématique comme celle de l’éducation, on obtient des résultats vraiment intéressants. Prenez les MOOC — les Massive Open Online Courses, ou cours ouverts offerts en ligne — qui existent partout maintenant, mais qui ont été inventés au Canada. Quand on se trouve à New York ou à Silicon Valley ou à Londres, les gens envient ce que nous faisons dans le domaine de l’éducation.
Pohlmann : Qu’est-ce qui vous inquiète au sujet du Canada aujourd’hui?
Wilson : Le manque d’attention vis-à-vis de l’enseignement des autochtones est honteux! À l’avenir, c’est quelque chose qui nous hantera et nous dirons : « J’ai du mal à croire qu’en 2014, l’éducation des autochtones était tellement sous financée! » La plus récente proposition du gouvernement fédéral concernant l’éducation autochtone a été un échec. Je me préoccupe du fait qu’il faudra encore dix ans avant qu’une autre occasion se présente pour réexaminer cette question en profondeur. Le sexisme demeure endémique au sein de la société. Une donnée statistique, que j’ai entendue récemment, dit que si nous financions les femmes entrepreneures au même taux que les hommes entrepreneurs, cela créerait six millions d’emplois au cours de cinq ans. Les investisseurs en capital de risque ont tendance à favoriser les gens qu’ils comprennent, c’est-à-dire surtout les hommes blancs. Mais certaines des meilleures idées que l’on voit, surtout en éducation et en innovation sociale, proviennent des femmes. Si celles-ci sont exclues du type traditionnel de financement, nous avons là un problème, non seulement au point de vue moral, mais aussi au point de vue de notre économie et de la création d’emplois.
Pohlmann : Qu’est-ce qui vous anime ces jours-ci au sujet du Canada?
Wilson : Nos jeunes. Ce n’est pas à la mode de défendre les adolescents, mais ils me remplissent d’espoir. Les jeunes ont l’esprit créateur, subversif et tenace, et ils n’ont peur de rien. Nous pouvons apprendre par leur exemple comment nous mettre en colère plutôt que d’être complaisants face à l’injustice. Nous, les adultes, avons tendance à porter nos institutions gouvernementales, religieuses, familiales et économiques à un niveau de révérence qu’elles ne méritent pas. Nous avons besoin de nos enfants pour poser des questions difficiles, à savoir d’où sont venus ces systèmes et pourquoi sont-ils comme ils sont. Nous avons besoin d’eux pour fouiller les questions en profondeur et ne pas nous satisfaire du statu quo.
Pohlmann : Si les choses devaient mal tourner au cours des vingt prochaines années, qu’est-ce qui se serait passé?
Wilson : Il existe un décalage considérable à l’heure actuelle entre ce que nous savons être nécessaire pour notre système éducatif et ce que notre système éducatif est capable de nous donner. Dans vingt ans, nous pourrions bien y jeter un regard rétrospectif et dire : « Nous savions qu’il nous fallait redoubler nos efforts en innovation et en pensée créatrice pour le bien de l’économie et pour résoudre des problèmes complexes. Plutôt, nous avons insisté pour que tout le monde acquière les mêmes connaissances de base, et nous avons ni plus ni moins anéanti toute créativité chez nos enfants. Comme résultat, nous ne possédons pas le capital intellectuel ou créateur pour résoudre nos problèmes colossaux. »Dans vingt ans, notre système de soins de santé pourrait être complètement surchargé. Nous nous dirigeons vers une sorte de tempête parfaite avec une population vieillissante et un système de santé déjà étiré jusqu’au bout, ce qui risque de donner lieu à une société encore plus inégale. Les nouveaux immigrants, les autochtones, les populations vulnérables pourraient ne pas avoir accès aux soins de santé auxquels ils ont droit.
Pohlmann : Et si les choses allaient bien au cours des vingt prochaines années, que pourrait-on en dire?
Wilson : On ne peut pas commencer à inculquer une culture d’entrepreneuriat chez des étudiants diplômés âgés de vingt-cinq ans. Nous enseignons la pensée d’entreprise dans les écoles primaires, secondaires et intermédiaires, et aussi, depuis peu, dans les maternelles. Les habitudes de pensée des bons entrepreneurs correspondent fidèlement aux compétences du vingt-et-unième siècle qu’on leur a enseignées dès l’école primaire, y compris les communications, l’endurance et le travail d’équipe. Les entrepreneurs qui œuvrent seuls ne sont pas financés. Le travail se fait toujours en équipe et les membres de ces équipes doivent démontrer qu’ils peuvent travailler ensemble, faire face aux situations adverses et connaître leurs points faibles autant que leurs points forts. Ce sont des aptitudes qu’on apprend dès la maternelle.
Pohlmann : Quelles leçons devons-nous apprendre de nos échecs passés
Wilson : La situation déplorable et perpétuelle des autochtones, ainsi que l’incapacité de bien des immigrants de prospérer dans ce pays, sont des échecs sur le plan moral et économique. Tout ce potentiel inutilisé et cette créativité inexploitée constituent une énorme perte pour notre société. Nous devons reconnaître que le type d’autosatisfaction qui accompagne le succès peut servir d’outil d’oppression. Malheureusement, le fait que nous ayons eu l’arrogance de vouloir imposer aux autres nos propres structures et systèmes ne semble pas avoir été une leçon que nous avons très bien apprise.