Lili-Anna Pereša sur les choix difficiles à faire


Peresa_1Lili-Anna Pereša, présidente de Centraide du Grand Montréal

 

Interviewée le 3 septembre 2014 par Adam Kahane.

Kahane : Quand vous regardez ce qui se passe à Montréal, au Québec, au Canada, qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit?

Pereša : Ce qui me préoccupe le plus, c’est que l’inégalité sociale continue de croître au Canada, même si elle n’est pas aussi prononcée qu’ailleurs. Partout dans le monde, l’inégalité croissante donne lieu à beaucoup de tension. Au Canada, nous avons été protégés en partie de cette tension parce que nous ne partageons pas de frontières avec des pays ayant d’extrêmes inégalités et donc, nous n’avons pas à subir les pressions de la migration.

Cependant, nous avons la responsabilité d’être plus ouverts que nous ne l’avons été récemment. Quand mon père est arrivé ici comme immigrant croate, cette communauté-ci l’a merveilleusement accueilli. Le Canada a une longue histoire quant à l’ouverture de ses portes aux réfugiés ou à d’autres nationalités qui sont victimes de discrimination dans leur pays. Mais il y a tout de même eu un déclin dans notre façon d’accueillir les immigrants. Ceux-ci arrivent et en général, se retrouvent dans ce que nous appelons « la pauvreté transitoire ». Au Canada, il fallait environ sept ans pour que les gens se sentent à l’aise financièrement, après quoi ils déménageaient en banlieue. Mais aujourd’hui, il faut quatorze ans pour qu’une personne atteigne l’indépendance financière. Le taux de pauvreté à Montréal est de vingt-trois pour cent, ce qui veut dire que presque une personne sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté.

Nous avons la responsabilité collective de nous assurer que les plus vulnérables soient protégés et puissent profiter des mêmes chances que le reste d’entre nous.

Kahane : Si les choses ne tournaient pas bien au Canada dans les prochaines décennies, qu’est-ce qui se serait passé, et pourquoi se seraient-elles passées?

Pereša : Nous — c’est-à-dire nous, les citoyens, ainsi que les dirigeants politiques — n’aurions pas réussi à faire preuve de courage en prenant les décisions difficiles et à long terme auxquelles nous faisions face. Avec un cycle électoral de quatre ans, les politiciens mènent leurs campagnes et peignent un très joli tableau, mais ils ne racontent pas l’histoire au complet. Une fois au pouvoir, ils se rendent compte qu’ils ont de dures décisions à prendre. Et puis les gens sont mécontents parce que les élus ne font pas ce qu’ils avaient promis de faire. Quand nous élisons certains individus, il nous faut avoir le courage de les laisser faire ce qu’ils doivent faire sans succomber à la pression de faire ce qui est bien vu par le public.

Kahane : Croyez-vous qu’à l’heure actuelle nous faisons de sages investissements pour l’avenir?

Pereša : En ce moment, on investit beaucoup dans les soins de santé. Pourquoi? C’est parce que les gens craignent la maladie pour eux-mêmes et leurs proches, et veulent avoir l’assurance qu’ils auront accès à de bons soins dans un tel cas. Mais puisque la population des quartiers défavorisés est en moins bonne santé et a une plus faible espérance de vie, réduire la pauvreté réduirait en même temps la pression sur notre système de santé. Et, comme il y a un lien entre le faible niveau de scolarité et la pauvreté, investir davantage dans l’éducation serait une stratégie plus durable que d’engloutir de plus en plus d’argent dans le système de santé. Mais comment des élus, qui ont un mandat de quatre ou cinq ans, peuvent-ils avoir le courage d’investir à long terme dans la prévention?

Kahane : Est-ce que Montréal est capable d’apporter les changements nécessaires?

Pereša : Au cours des vingt dernières années, chaque quartier de Montréal a organisé une table ronde multidisciplinaire à laquelle participent des gens d’organisations communautaires, d’agences locales, de la ville, de la police, des services de santé, des écoles et ainsi de suite pour se parler et travailler ensemble. Auparavant, seules les agences mobilisaient les citoyens.

Je pense que nous en avons assez de recevoir de mauvaises nouvelles et notre scepticisme est à un très haut niveau. Nous voulons de bonnes nouvelles et nous savons que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour créer ces bonnes nouvelles. Même si nous ne partageons pas les mêmes vues politiques, nous savons que nous devons nous serrer les coudes pour faire avancer les choses.

Malgré le taux élevé de pauvreté à Montréal, quand on lit les données statistiques sur le niveau de contentement et la qualité de vie, c’est un des meilleurs endroits où vivre, et c’est parce que nous possédons un solide réseau communautaire. La raison pour laquelle nous avons un faible taux de criminalité, une qualité de vie supérieure et une société qui se mobilise de manière pacifique est que notre culture est ouverte et que notre tissu social permet aux gens d’espérer.

 

Reos Partners

Thought leader interviews were conducted by Reos Partners, led by project editor Adam Kahane. Kahane is a best selling author and facilitator who has led dialogues in more than 50 countries including post-Apartheid South Africa. Les entrevues auprès de leaders d’opinion ont été réalisées par Reos Partners, sous la direction d’Adam Kahane, rédacteur de projet. Kahane est un auteur et facilitateur à succès qui a mené des dialogues dans plus de 50 pays, notamment en Afrique du Sud après l’apartheid.